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« L’interaction sonore homme-machine. Analyse comparative de deux cas d’études : Les nuages de Magellan de Tristan Murail et unseulmotnesuffitpas de Pierre Alexandre Tremblay »

Le 10 mai 2017
De 11h00 à 11h30
Les Amphis (université Paris 8), 2 rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis, Amphithéâtre X

     Communication dispensée par Eric MAESTRI (membre du GREAM) dans le cadre du Colloque international « Musiques électriques, électricité et musique », aux Amphis de l'université Paris 8, le 10 mai 2017 à 11h00.

     L’interaction homme-machine est un sujet d’étude particulièrement discuté actuellement. Il est présent dans les débats publiques (par exemple au sujet de l’automation et du futur du travail humain et de l’intelligence artificielle), bioéthiques (l’humain et le non-humain ou le post-humain) et dans ceux qui concernent la pratique musicale (Holland, Wikie et al. 2013).

     Depuis un siècle, la musique est fortement touchée par l’apport grandissant de la technologie dans la production des œuvres. Herman Scherchen parlait d’Umwandlung, d’une véritable irruption des dispositifs (Schaeffer 1966 : 405). Dufourt considère qu’un tel développement comporte la transformation de « l'ordre du sensible » (Dufourt 1991 : 163). Il souligne le fait qu’ « à partir du moment où on devient capable d'enregistrer et d'interpréter l'impression sensible et d'exercer une fonction sensitive par délégation […], le problème de la définition et de la détermination du mouvement qui lui est corrélatif constitue un impératif vital autant qu'un problème intellectuel majeur » (Dufourt 1991 : 165). Selon Walter Benjamin, l’art possède la fonction d’établir l’équilibre entre l’homme et la technologie (Benjamin 1936). À partir de ce contexte, les musiques mixtes et interactives revêtent un terrain d’étude très pertinent : elles confrontent les dispositifs électroniques et instrumentaux, leurs agents et leurs sonorités ; elles permettent d’étudier l’interaction au niveau du design ergonomique et des formes sonores.

     Certaines sonorités apparaissent à nos oreilles comme générées par des dispositifs qui ne correspondent pas uniquement à la production mécanique humaine, mais plutôt à une génération sonore provenant d’instruments alimentés par d’autres formes d’énergie, comme l’électricité. Le son présente les traces de l’agent qui le produit (sa facture). Nous faisons l’hypothèse qu’au moins deux formes sonores, l’une connue et l’autre inconnue, interagissent. Une telle perception est guidée par des processus perceptifs basés sur l’imagination motrice (motor imagery) (Godøy 2006 ; Launay 2015) ; en même temps, cette confrontation symbolise la relation entre l’humain et le non-humain (Lalitte 2006 ; Emmerson 2007).

     Il s’agit alors de l’analyser à partir de l’expérience esthétique afin d’étudier la relation entre le son perçu et le mouvement imaginé, l’homme et la machine ; de comprendre, au niveau « aurale », l’interaction entre les dispositifs et de l’interpréter au niveau symbolique. Une telle perspective peut être comprise en fonction de la notion de geste, perçu et producteur, et, par celui de texture ; ces notions dynamiques concernent la qualité sonore et la directionalité dans le temps des événements sonores.

     Dans cette communication nous nous proposons de comparer l’analyse de deux cas : Les nuages de Magellan (1973) du compositeur spectral Tristan Murail et unseulmotnesuffitpas III (2015), de Pierre Alexandre Tremblay, compositeur et réalisateur informatique québécois. La première œuvre est uniquement caractérisée par l’utilisation d’instruments électriques - Ondes Martenot et guitare électrique - et de la percussion. Le compositeur confronte des sonorités complexes, tant du point de vue spectrale que morphologique, à des sonorités liées à la dimension de la hauteur. Dans la deuxième, Tremblay confronte le violoncelle à un dispositif en temps réel : le geste instrumental et la partie électronique déterminent une sonorité hybride très riche qui se fonde sur la partie instrumentale. Il s’agit de deux œuvres différentes du point de vue de la technologie ; cependant la comparaison de leur rendu sonore nous permettra de montrer leurs aspects communs. Nous segmenterons les œuvres en unités spectrotemporelles (Smalley 1997 ; Castellengo 2015) et comparerons la forme et les éléments spectromorphologiques en tant que variables discrètes hors-temps. Nous remarquerons le fait que les sections de ses œuvres sont caractérisées par une claire oscillation entre la présence du geste humain et sa disparition dans la masse sonore. Nous montrerons que ces œuvres peuvent être interprétées en fonction de la prédominance de l’aspect gestuel et textural.

     L’interaction homme-machine, habituellement étudiée par l’analyse des dispositifs (Yokusel et al. 2016) est ici étudiée, au contraire, selon une perspective perceptive (« aurale » ou « esthésique ») ayant une finalité intrinsèque et une autre extrinsèque. La première nous permet de comprendre l’aspect morphologique, la relation entre les parties et de définir les sonorités de l’œuvre ; la deuxième se propose d’interpréter les données de l’analyse à partir d’un niveau symbolique, celui de l’interaction homme-machine. Nous pensons qu’une telle approche apporte un regard renouvelé - ainsi que critique - face à l’utilisation des nouvelles technologies et contribue à compléter, par une perspective musicologique, le débat concernant l’interaction homme-machine.